#23millionsdevoix
INTERVIEW DE PASCALE RIBES DANS HOSPIMÉDIA
APF France handicap sort une nouvelle note politique sur l'éducation destinée aux candidats à l'élection présidentielle. Pascale Ribes, présidente de APF France handicap demande la réintégration dans le droit commun dans l'Éducation nationale de l'ensemble des unités d'enseignement. Pour Pascale Ribes, sa présidente, il faut changer de matrice pour rendre le système éducatif inclusif. "Pour rendre le système éducatif inclusif il faut impulser une transformation structurelle".
Hospimedia : "Dans votre note destinée aux équipes de campagne pour l'élection présidentielle (à télécharger ci-dessous), vous suggérez de revoir en profondeur la matrice du modèle éducatif afin qu'il puisse véritablement inclure tous les enfants...
Pascale Ribes : Aujourd'hui, le système éducatif français n'est pas inclusif car nous sommes toujours dans une logique de déploiement, plus ou moins bien réussie selon les situations, de réponses adaptées en termes de compensation et d'adaptation.
L'éducation inclusive, au sens de l'article 24 de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, implique un suivi individualisé dans un cadre commun qui s'adapte à chaque enfant, à chaque jeune, en situation de handicap ou pas. Je ne nie pas les avancées ces dernières années mais nous sommes toujours dans des politiques d'adaptation pour corriger un système qui reste fondamentalement intégratif.
C'est ce qu'a souligné en 2017 Catalina Devandas-Aguilar, rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits des personnes handicapées et ce que nous a rappelé cet été le comité des droits des personnes en situation de handicap (Committee for the Rights of People with Disabilities, CRPD, lire notre article).
Pour rendre le système éducatif inclusif, il faut impulser une véritable transformation structurelle. Un système scolaire inclusif ne s'adresse pas qu'aux enfants en situation de handicap, il s'adresse à tous les enfants qui ont des besoins dits particuliers, élèves allophones, élèves en décrochage... que ces besoins soient temporaires ou permanents. Cela signifie qu'il faut couper avec un modèle pensé pour la moyenne des enfants qui vont bien avec des objectifs à atteindre en termes de connaissances et viser le plein développement de l'autonomie et de l'autodétermination de l'ensemble des élèves, en tenant compte des différences de chacun pour y arriver.
L'éducation inclusive, c'est répondre aux besoins particuliers mais au milieu de tous. La société ne pourra pas devenir inclusive si on ne commence pas à l'école. Je ne nie pas les avancées ces dernières années mais nous sommes toujours dans des politiques d'adaptation pour corriger un système qui reste fondamentalement intégratif.
Hospimedia : Vous proposez, entre autres, de rendre la responsabilité de l'ensemble des unités d'enseignement (UE) qu'elles soient internes aux établissements médico-sociaux ou externalisées à l'Éducation nationale...
Pascale Ribes : Pour qu'elle ait une vision inclusive, l'Éducation nationale doit s'occuper de l'éducation de l'ensemble des élèves, quelle que soit leur problématique. Il ne s'agit pas pour les établissements médico-sociaux de lui abandonner cette responsabilité mais au contraire de multiplier les coopérations pour les accompagner avec notre savoir-faire.
À terme, nous savons bien que cela prendra du temps car il y a des problèmes immobiliers mais nous militons pour l'externalisation de l'ensemble de l'enseignement. C'est un horizon auquel je ne veux pas renoncer. Aujourd'hui, j'entends des familles apprécier le cocon médico-social mais, demain, dans une école plus accueillante, plus bientraitante, la question devrait moins se poser. Cela nécessite de réfléchir à l'accessibilité dans tous les domaines : la bâti, les programmes, les évaluations...
Hospimedia : Que demandez-vous par exemple ?
Pascale Ribes : Sur le bâti nous demandons à ce que les handicaps soient pris en compte dans tous les projets dans les constructions ou réhabilitations de bâtiments scolaires afin de prévoir notamment de la place pour des salles de classes mais aussi des salles de soins et de repos. L’enjeu est donc pour l'instant de multiplier les UE en milieu ordinaire et de les faire évoluer pour qu'elles puissent être considérées comme des dispositifs adaptés de l’Éducation nationale comme le sont les unités d’enseignement élémentaire autisme (UEEA) ou les unités locales d'inclusion scolaire (Ulis).
On peut imaginer qu'en gommant toutes ces différences entre les dispositifs aujourd'hui pilotés par l'Éducation nationale d'une part et le médico-social d'autre part, en développant les conventions, les coopérations, les équipes mobiles d'appui à la scolarisation (Emas), etc. le médico-social puisse devenir un véritable centre ressource au service de l'école ordinaire.
Pour qu'elle ait une vision inclusive, l'Éducation nationale doit s'occuper de l'éducation de l'ensemble des élèves.
Hospimedia : Dans votre document, vous évoquez la place des enseignants, des enseignants ressources mais pas celle des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), pourquoi ?
Pascale Ribes : Les AESH ne sont qu'une partie de la réponse aux besoins particuliers de certains enfants. En France, on a eu vraiment trop tendance à leur déléguer tout l'accompagnement sans réfléchir assez aux adaptations, à un fonctionnement différent. Du coup, tous les ans à la rentrée, des enfants sont privés de scolarisation parce que l'Éducation nationale n'arrive pas suffisamment à recruter sur ces métiers mal formés et mal payés. La fonction d'AESH est encore trop souvent pensée comme un pansement.
Elle a toute son utilité mais peut-être pas pour tous les enfants. Nous demandons la réduction des effectifs des classes à vingt élèves dès lors qu'un élève a besoin d'aménagements, d'adaptations pédagogiques ou d'une programmation adaptée des objectifs d’apprentissage (PAOA). Ce dernier outil, encore beaucoup trop peu exploité à notre avis, permet pour un élève dont le niveau est très éloigné de ceux de la classe d’âge d’être scolarisé avec les élèves de son âge en adaptant le programme scolaire.
Nous demandons également une meilleure formation des enseignants, le développement des pôles ressources avec des enseignants spécialisés à même de conseiller les enseignants en matière d’adaptations et aménagements pédagogiques et l'augmentation du nombre d’enseignants référents de façon à limiter le nombre de dossier à cent et leur permettre ainsi de jouer un rôle de lien entre les différents acteurs. Enfin, nous souhaitons évidemment une coopération renforcée avec le médico-social."
Les 8 priorités d'APF France handicap vers une éducation inclusive :
- garantir l'accueil de toutes et tous dès la petite enfance et dans toutes les activités péri et extrascolaires ;
- rendre accessibles les lieux d'accueil, d'activités et d'enseignement ;
- mettre en place tous les aménagements et adaptations pédagogiques nécessaires ;
- former et soutenir les professionnels de l'éducation et de l'enseignement ;
- garantir les aides pour une meilleure prise en compte des attentes des enfants et des jeunes ;
- faire évoluer les unités d'enseignement en dispositifs adaptés de l’Éducation nationale et les relocaliser dans les établissements scolaires ;
- faciliter l'orientation et la poursuite d’études dans le supérieur ;
- sensibiliser aux situations de handicap et lutter contre le harcèlement.
Propos recueillis par Emmanuelle Deleplace