Témoignage d'une mère de famille paraplégique, Stéphanie organise sa vie comme tout le monde

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«J’avais 16 ans et nous allions au cinéma avec une amie et sa mère. C’était un vendredi soir. Comme j’étais petite et assise à l’arrière de la voiture, je me suis mise entre les deux sièges pour participer à la discussion. On roulait vite. J’ai été projetée en dehors de la voiture. Après, je ne me souviens plus de rien. Les secours m’ont, paraît-il, retrouvé plus loin dans un bois. Je suis restée endormie trois jours. Je rêvais d’une grande femme africaine qui venait me fredonner des chansons.

«Et puis, le réveil est intervenu le lundi matin. J’avais les jambes lourdes. Une infirmière m’a alors dit sans aucune délicatesse que je ne marcherais plus. Je l’ai engueulée spontanément en lui disant qu’elle n’y connaissait rien. Et puis, subitement, une femme, celle que je voyais dans mes rêves, est entrée dans ma chambre. Elle était grande, mince, belle. Elle ressemblait à la sorcière de Kirikou. C’était Marie-Jeannette, ma neurochirurgienne. Elle m’a raconté qu’elle venait souvent me parler quand je dormais. Elle est restée longtemps avec moi, m’a caressé le visage, m’a annoncé que ma moelle épinière était sectionnée, qu’il n’y avait rien à faire, et m’a expliqué ce que serait ma vie désormais. Pendant vingt-quatre heures, j’ai beaucoup pleuré.

 

Et puis, j’ai fini par accepter. Marie-Jeannette m’a convaincue qu’il n’appartenait qu’à moi d’avoir une belle vie. Alors, j’ai quitté mon Allier natal pour partir en centre médico-éducatif en Seine-et-Marne. Ce fut un choix clair de ma part. J’ai voulu quitter la maison car je ne voulais pas que mon entourage et mes amies passent leur temps à me couver. Qu’ils fassent tout pour moi. Au centre, au contraire, les résidents étaient bien plus lourdement handicapés que moi, et j’ai donc progressivement commencé à relativiser.

 

«Ma vie s’est reconstruite, loin de chez moi»

«Paradoxalement, ma vie a réellement démarré à cette période-là. De nombreuses sorties étaient organisées par le centre. J’allais au théâtre, à des concerts à Paris pour la première fois. Même si je voyais plus souvent le cul des gens qui dansaient devant moi que les artistes sur scène ! Ma vie s’est reconstruite ainsi. Loin de chez moi. Lorsque je rentrais le week-end et que je racontais tout ça à mes copines d’enfance, je les blessais. Elles, dans l’Allier, elles ne sortaient jamais. Elles m’enviaient, je crois. Ce fut terrible pour elles d’imaginer que la vie souriait plus à la fille qui venait de subir un malheur. Du coup, avec certaines, nous avons coupé les ponts.

 

«C’est au centre que j’ai rencontré mon mari. Il venait rendre visite à un autre résident. Il s’est intéressé à moi. Au départ, je me disais sans cesse "mais pourquoi un type valide me choisirait ?" Je lui disais qu’il allait traîner un boulet. Mais il s’en foutait. Mon handicap, il ne le voyait pas. Nous n’avons jamais eu un rapport valide-handicapé. Je suis sa femme.

 

«Pour le travail, il faut prouver, encore prouver»

«J’ai une formation de maquettiste. Lorsque je cherche du travail, je n’ai pas envie de dire d’emblée que je suis handicapée. Mais en même temps, je considère qu’il est malhonnête de le cacher. Au fond, je crois que c’est à double tranchant. Un patron peut tout aussi bien juger sur les compétences propres, qu’être effrayé par l’idée d’embaucher une personne handicapée.

 

Qu’on se le dise, le handicap provoque la gêne. Il y a encore cette mentalité tenace dans le monde de l’entreprise qui veut que handicap rime avec arrêts de travail fréquents et galères quotidiennes. Or, beaucoup de handicapés n’ont pas besoin d’un suivi médical plus approfondi qu’une personne normale. Souvent, il s’agit simplement d’une particularité comme une autre.

 

Mais, il faut quand même toujours que l’on démontre que l’on est autant capable qu’un valide. Il faut prouver, prouver, et encore prouver. Ça peut s’avérer fatigant à la longue. De même, il est assez insupportable de se dire que peut-être nos collègues pensent qu’on a obtenu un poste parce que l’on est handicapé et non pour notre valeur. Par discrimination positive ou favoritisme. Le handicap étrangement ne génère pas la tolérance mais l’intransigeance.

 

Source : Libération, article di 16/11/20110

 

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